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Toulouse - samedi 26 juin 1875
crue de la Garonne
Un décret du président de la République convoque extraordinairement le conseil général de la Haute-Garonne, dans le but de voter des secours aux victimes de l'inondation.

Nous avons la conviction de notre assemblée départementale votera une allocation importante […]

Débordement de la Garonne

Qu'ajouter à nos récits d'avant-hier et d'hier ? Les personnes qui ont parcouru les divers points inondés ont pu se rendre compte par elles-mêmes des malheurs irréparables, des dévastations inouïes que le terrible fléau a causé sur son passage. Le déblaiement s'effectue avec le plus de rapidité possible. A chaque instant, sous les décombres, on découvre des cadavres qui sont immédiatement transportés dans les fourgons et ensevelis au cimetière de Terre-Cabade. Une odeur infecte commence à se dégager des monceaux de ruines. Nous le répétons, si l'on ne met des milliers de bras en mouvement pour débarrasser le terrain des amas de matériaux qui les couvrent, des conséquences très fâcheuses sont à redouter.

La circulation est rétablie sur le Pont-Neuf et dans le faubourg Saint-Cyprien, mais nous engageons les personnes qui se rendent sur les lieux où se trouvent les maisons ébranlées ou détruites à prendre des précautions sérieuses pour éviter d'être écrasées. Deux personnes qui ont voulu hier visiter leur maison envahie par les eaux ont été ensevelies sous un amas de matériaux.

L'abaissement du niveau des eaux permet d'apprécier sur certains points les effets de la crue.

Le moulin de Bazacle formant tête de chaussée et la chaussée elle-même ont résisté à tous les efforts de l'inondation.

Les minoteries Brouzès, Grèze, Lataple, Baqué et Bouilhères sont intactes et vont reprendre leur activité dans la journée de demain. Il en est de même pour [déchirure du journal] Pélegry.

Les fabriques de chapeaux de [déchirure du journal] Arnal et Castaing et de ressorts de voitures de M. Cambefort sont debout.

La tréfilerie de Campionnet est [déchirure du journal] les forges et laminoirs de ce même industriel sont bien conservés. La [déchirure du journal] Sempé a résisté ainsi que la filature [déchirure du journal]. L'usine Chiffre est fortement endommagée.

Enfin, l'usine de M. Sirven, nouvellement construite et à peine achevée, a été entièrement conservée. Tous les ponts sont debout. Le matériel industriel de toutes les usines a plus ou moins souffert.

La digue, après de si rudes épreuves, a subi des dommages qu'on ne peut encore apprécier ; mais la ligne de niveau d'amont se maintient, ce qui indique une résistance suffisante.

On doit se féliciter de la solidité du Moulin, car on pouvait craindre qu'il ne cédât à l'énorme pression qu'il a supportée ; si ce malheur était arrivé, le Ramier et le quartier des Amidonniers auraient été emportés.

Le terrain est à peu près intact au Ramier du moulin du Château.

Nous sommes heureux d'apprendre que, contrairement aux renseignements donnés hier, le matériel des deux usines de MM. Garipuy frères est totalement intact, ainsi que les bâtiments principaux. Les bâtiments secondaires se sont seuls effondrés, laissant sous les décombres des matières premières en assez grande quantité. Les pertes sont sérieuses, mais n'empêcheront pas la reprise du travail dans peu de jours.

La prairie des Filtres a été entamée malgré le mur de défense qui l'entourait. A partir de l'extrémité du côté de la place du Fer-à-Cheval jusqu'en face et même un peu au-dessous de l'escalier, il en manque une largeur qui varie entre 15 et 40 mètres. L'extrêmité du côté du pont a été couverte par le gravier.

Une partie du tablier du pont Saint-Michel a été déposée par les eaux sur la prairie des filtres.

L'inondation a causé de sérieux dommages dans le quartier de Bonrepos.

L'habitation et la briqueterie de M. Cloostermans ont été complètement effondrées.

M. Schmidt, horticulteur, a éprouvé de grandes pertes.

Le murs d'enceinte de l'octroi a été détruit sur certains points, entre le chemin des Fontaines et la barrière de Bayonne.

Les religieuses et pensionnaires du Sacré-Cœur sont rentrées hier dans leur établissement.

M. le Maire de Toulouse vient de faire afficher, au nom du conseil municipal et de la municipalité, un ordre du jour rendant hommage au courage et au dévouement dont les sapeurs-pompiers ont fait preuve dans les douloureuses circonstances que nous venons de traverser.

L'activité déployée par M. Marty, directeur du gymnase Léotard, dans le sauvetage des victimes de l'inondation, est digne des plus grands éloges. M. Marty est à tout instant sur la brèche pour découvrir les cadavres ensevelis sous les décombres.

Mme Gibb, professeur de musique, a recueilli, hier, dans son domicile, 76 inondés, et leur a prodigué tous les soins nécessaires.

Nous sommes heureux d'annoncer que les ateliers de fonderie de MM. Bourges, frères, situés dans la rue Villenouvelle, au faubourg Saint-Cyprien, n'ont pas été détruits, mais seulement endommagés. Des dispositions sont prises pour que les nombreux ouvriers qu'ils occupaient puissent reprendre leurs travaux incessamment.

Deux pompiers ont parcouru hier, à neuf heures du soir, les quartiers de notre ville en demandant aux hommes de bonne volonté de prêter leur concours au déblaiement le plus rapide possible du faubourg Saint-Cyprien. On n'aura qu'à se rendre sur les lieux même du sinistre où l'on donnera les indications nécessaires. Il n'y a rien de fixé pour la durée du travail. Chacun y consacrera le temps qu'il jugera convenable.

Obsèques de deux artilleurs

Nous avons dit dans notre numéro d'hier que l'on voyait, à l'entrée de l'allée de Garonne, un fourgon renversé sur quatre chevaux morts, nous ignorions le sort des artilleurs qui les conduisaient. L'un d'eux a pu se sauver.

L'autre, le nommé Weyer (Lorrain), 2e conducteur à la 8me batterie du 23me d'artillerie, a été victime de son dévouement. Ses obsèques ont eu lieu hier à 2 heures de l'après-midi au cimetière de Terre-Cabade. M. le colonel de Narp, le lieutenant-colonel, l'état-major du régiment, un officier et un sous-officier de chaque batterie, et la batterie complète à laquelle appartenait Weyer suivaient le convoi.

Dans la rue Pargaminières, dans la rue Lafayette, et sur tout le parcours, la douleur se lisait sur les visages et les larmes montaient aux yeux. Au cimetière, M. le colonel de Narp a prononcé un discours ému sur la tombe de cette victime du devoir et de son dévouement.

Un autre artilleur, nommé Avit, 2me conducteur à la 5me batterie du 18me régiment d'artillerie, a été trouvé à l'embouchure. Ses obsèques ont eu lieu ce matin.
*
Les transmissions télégraphiques sont rétablies entre Foix et Toulouse.

[…] (voir rubrique "Dons au profit des inondés")

M. Ponsolles (François), habitant à Saint-Cyprien, rue des Trois-Canelles, 10, a confié à un dragon sa jeune fille âgée de 4 mois, le 24 juin, à huit heures du matin. Depuis, il n'a pu trouver la trace de son enfant. Il prie les personnes qui pourraient donner quelques détails de s'adresser rue Peyrouset, avenue Saint-Agne, chez M. Durieu, plâtrier.

On recueille au temple des protestants une grande quantité de victimes de l'inondation.

M. P. Cantarel, marchand de bois, Porte Saint-Sauveur, 8, offre un logement pour une famille de trois à cinq personnes (gratuitement).

M. le directeur de l'École vétérinaire de Toulouse a mis à la disposition de la municipalité un bâtiment qui peut contenir quinze personne. Cinquante soupes seront en outre fournies tous les jours à onze heures du matin. Un appel a été fait aux élèves dudit établissement pour les inondés.

Une ambulance est installée, place de la Visitation, 56 (ancien hôtel du général Laffont), pour les malades des familles des inondés. On peut, à partir d'aujourd'hui, présenter les demandes d'admission. Deux médecins feront le service de cette ambulance.

A partir d'aujourd'hui, les trains omnibus sur la ligne de Bordeaux partent et ne vont que jusqu'à Valence-d'Agen. L'express ne part pas.

[suivent des nouvelles de localités environnantes]

Un de nos lecteurs nous transmet la note suivante :

Aucun des actes de dévouement et de courage de notre admirable garnison de Toulouse ne doit rester ignoré. C'est pourquoi nous nous faisons un devoir de signaler à la reconnaissance de nos citoyens le trait héroïque d'un enfant de la cité. M. Louis Baille, maréchal-des-logis au 23e d'artillerie, aidé d'un jeune ouvrier du quartier de l'Embouchure, appelé Castille, a, dans la néfaste journée du 24, sauvé au péril de ses jours toute une famille des Sept-Deniers composée de sept personnes, qu'il a recueillie, en deux voyages successifs, dans une frêle embarcation, au milieu d'un courant des plus rapides. M. Louis Baille est le même intrépide sauveteur qui, il y a trois ans et dans des circonstances analogues, arracha à une mort certaine M. Gignoux, le propriétaire des bains de la Daurade, emporté par le courant avec son bateau et mérita pour ce fait une médaille, dont le rappel sera cette fois encore si bien justifié.
(Débordement de la Garonne, in La Dépêche, dimanche 27 juin 1875, 6e année, n°1561, ADHG 4 MI 14 - R19)

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