Quelques rectifications à notre article d'hier.
Ce n'est pas M. Guiraud qui a été tué
par la chute des maisons, mais son gendre, M. Wolfart,
ancien commissaire du gouvernement au conseil de guerre.
M. Garrigues, avocat, n'a point péri, comme
on nous l'avait [fait] craindre, mais on nous dit
que sa mère a été ensevelie sous
les décombres.
A
propos d'un sauvetage, qui a été opéré
aux Sept-Deniers, on nous avait annoncé la
mort du nommé François-Hippolyte Joanny,
artilleur au 23e régiment, dont le père
habite Montauban. Nous apprenons aujourd'hui que ce
brave militaire a été sauvé.
S'étant
porté bravement au secours des inondés
qui se trouvaient près l'Embouchure, le bateau
qui le portait ainsi que 2 mariniers, fut entraîné
le mardi soir et après avoir butté contre
un arbre s'y abîma. Joanny, après avoir
passé 8 heures dans l'eau et sur cet arbre,
a pu être sauvé seulement le jeudi matin,
après la grande baisse.
Informé
de cela, M. le préfet a chaleureusement félicité
l'artilleur Joanny sur la belle conduite et sur le
dévouement dont il a fait preuve.
Le
brigadier Ligonet, des dragons, est signalé
pour avoir opéré plusieurs sauvetages,
femmes, enfants, hommes, accompagné du maréchal-des-logis
Billou, du 23e d'artillerie, et d'un inconnu civil
qui, avec sa voiture, a fait bravement son devoir
; on nous dit aussi qu'après avoir réquisitionné
une barque, ils ont redoublé de zèle
et fait de nouveaux sauvetages.
Il
paraît que l'on a des craintes sérieuses
pour l'hospice de la Grave.
Tous
les malades ont été transportés
dans la journée d'hier à l'hôpital
militaire, et le reste du personnel a été
dirigé sur d'autres points.
Si
un nouveau malheur se produit, on est sûr ainsi
qu'il ne fera pas de nouvelles victimes.
On
nous annonce que la ligne du chemin de fer de Toulouse
à Bordeaux reprendra son service régulier
ce soir ou demain matin au plus tard.
L'interruption
n'avait pas pour cause, comme on l'avait cru d'abord,
la chute d'un pont ou autres dégâts à
la voie.
A
Lespinasse, la Garonne, dans sa crue, avait déversé
de l'eau dans le canal Latéral sur une longueur
de 500 mètres. Le canal, ne pouvant pas la
contenir, a cédé à la pression,
et une longue brèche s'était ouverte,
inondant à son tour la voie du chemin de fer
sur une grande longueur.
Dès
que la Garonne s'est retirée, on a mis des
ouvriers à l'œuvre et la brèche
sera réparée ce soir.
Pareil
accident s'était produit à Moissac,
mais sans avoir la même importance.
La
partie de Tounis, située sur la petite rivière,
a beaucoup souffert ; presque toutes les maisons se
sont écroulées.
Les
nouvelles du dehors sont des plus alarmantes, mais
on doit se garder d'accueillir les informations colportées
par les voyageurs qui parlent de villes détruites,
de déviation de rivières, de montagnes
déplacées, etc. Ce qu'il y a de certain
c'est que les malheurs sont des plus grands. Mais
il est sage d'attendre que les communications soient
rétablies.
Croix-de-Pierre
En entrant sur la promenade du Cours Dillon, un spectacle
désolant frappe les regards.
Depuis
l'ancien Château d'eau jusqu'à la rue
du Pont-Vieux, toutes les maisons sont en ruines.
Seule, la façade du n°37, qui forme l'autre
angle de cette dernière rue, est debout et
entourée de ruines. Les murs élevés
qui partent de cette rue et se continuent jusqu'à
l'extrémité de la rue Laganne, ont été
détruits dans toute leur longueur.
La
rue Laganne est encore noyée en partie, celle
qui est à découvert donne une idée
de la violence des eaux en cet endroit. Les pavés
ont été enlevés sur une surface
étendue, et la rue est profondément
ravinée.
La
plupart des escaliers qui conduisent du cours Dillon
dans la rue sont enlevés. A partir de la rue
Peyrolade jusqu'à la porte de fer, les maisons
sont encore debout, sauf le n°11 portant l'enseigne
d'un coiffeur dont l'intérieur est complètement
démoli.
Nous
franchissons la porte de fer et nous arrivons au Fer-à-Cheval.
La désolation est inouïe. Pour si loin
que l'on puisse apercevoir du côté de
l'avenue de Muret, on ne voit que maisons détruites,
et d'autres que l'on déménage et qui
menacent ruines. On craint pour la minoterie. Le propriétaire
de la maison qui porte le n°95 a été
retiré des décombres. Les habitants
du quartier nous assurent que, depuis le commencement
de l'avenue jusqu'à l'embranchement de Lafourguette,
presque toutes les maisons sont démolies.
Nous
revenons sur nos pas, et, laissant la rue Sainte-Lucie
qui est à trois-quarts démolie, nous
entrons dans l'allée de Garonne qui a été
furieusement ravinée. Une quinzaine de maisons
sont à terre ; quant aux rues latérales,
rue des Teinturiers, des Feuillantines, etc., et à
la rue Villenouvelle qui conduit de la rue des Teinturiers
à la place Intérieure-Saint-Cyprien,
elles sont complète-ment en ruines. C'est dans
cette rue que se trouvaient les fonderies Bourges
et Delpy.
Au
bout de l'allée de Garonne se voit encore un
fourgon d'artillerie renversé, à moitié
couvert de décombres ; les quatre chevaux qui
le conduisaient sont étendus morts à
la même place. Ils ont dû être enlevés
cette après-midi.
Ces
pertes matérielles sont immenses, mais que
de victimes doivent avoir été frappées
! On nous assure que l'on en a trouvé un certain
nombre tout près du jardin des Feuillants.
La rue Varsovie, très populeuse, qui va de
la rue de Cugnaux à la place Roguet, a été
détruite en très grande partie. On nous
dit que, dans la rue de Cugnaux, une maison appartenant
au ténor Dufrêne, s'est écroulée
ce matin et qu'un incendie s'y est déclaré.
Le
faubourg Saint-Cyprien
Tout
danger a aujourd'hui disparu ; les eaux de la Garonne
sont rentrées dans leur lit, la crue est à
peine sensible.
Nous
avons voulu ce matin nous rendre compte des ravages
occasionnés par le débordement et nous
nous sommes transportés au faubourg Saint-Cyprien.En
quittant la tête du pont du côté
de l'hospice, nous nous dirigeons vers la place Laganne
qui n'est plus qu'un monceau de ruines. Les grilles
qui entourent l'ancien château-d'eau sont renversées
sur la chaussée. Dans la rue de la République,
la plupart des maisons se sont écroulées.
L'eau avait atteint une hauteur de deux mètres.
Les marchandises que contenaient les magasins sont
dispersées sur les trottoirs, mêlées
à des ustensiles de cuisine, à des paquets
de linge, à des meubles de chambre à
coucher et de salon.
Il ne reste qu'une maison dans la rue Courte. Les
débris sont entassés pêle-mêle
et offrent au regard le plus lamentable spectacle.
Par-ci, par-là, des femmes pleurent. Un modeste
mobilier était toute leur fortune et elles
n'ont plus rien.
La place du Chairedon n'a pas été moins
maltraitée. Les magasins de MM. Laffitte et
Estrade, droguistes, sont complètement détruits.
Il en est de même de la maison de M. Olivier.
En beaucoup d'endroits il ne reste que les murs de
façade lézardés et menaçants
ruines. La plupart des maisons qui paraissent intactes
ont été fortement ébranlées
par les eaux. Elles n'offrent aucune sécurité.
M. l'architecte de la ville fait des constatations
peu rassurantes pour les habitants. Des factionnaires
sont placés le long des maisons et engagent
les passants à se tenir au milieu de la rue.
A ce moment, un fourgon d'artillerie passe emportant
le cadavre d'un vieillard. Un prêtre est debout
dans le fourgon. Les passants se découvrent
avec respect devant le cadavre.
Nous arrivons à l'extrémité de
la rue de la République. L'hôtel Massabiau,
où se trouvaient les carmes, est littéralement
détruit. La maison qui était située
à côté est complètement
ouverte par suite de l'effondrement de la façade.
On remarque au deuxième étage une bibliothèque
garnie de livres, des effets suspendus, une commode
en place, des chaises, des fauteuils, une table sur
laquelle se trouve un petit chat qui miaule est qui
voudrait bien quitter la place. Plus loin, sur un
amas de matériaux et de meubles, un chien épagneul
pousse des hurlements plaintifs.
Nous arrivons place Extérieure-Saint-Cyprien.
Toujours [le] même spectacle désolant.
A une fenêtre du premier étage d'une
maison dont il ne reste que la façade, de magnifiques
fleurs s'étalent et semblent braver le destin.
La chaussée est complètement ravinée.
L'eau a ébranlé les pierres sur lesquelles
s'appuient les portes de fer de l'ancienne barrière.
Une de ces portes a été renversée.
M. le préfet et M. le commissaire central donnent
des ordres pour préserver les passants des
dangers qu'ils pourraient courir.
Sur les allées de Garonne, le sol est ouvert
en plusieurs endroits à plus d'un mètre
de profondeur tant a été grande la force
du courant. L'avenue de la Patte-d'Oie est dans un
état navrant. Les murs de clôture des
parcs et jardins ont été renversés.
La distillerie Durban a été emportée.
L'auberge de la Femme-sans-Tête est en ruines.
Les petits industriels qui se trouvaient à
droite en allant du côté du Rond-Point,
sont sur le pavé.
On assure qu'au moment de l'inondation quatorze personnes
se trouvaient dans l'auberge de la Femme-sans-Tête.
Quand se produisit l'écroulement, sept d'entre
elles purent heureusement s'accrocher aux fenêtres
; les autres furent ensevelies sous les décombres.
Rue Villeneuve, les maisons s'affaissent peu à
peu. Quelques gitanos soignent des chevaux et essaient
de rassembler leur mobilier presque détruit.
La rue des Trois-Canelles n'a plus que deux maisons
debout. Un habitant du quartier affirme que plus de
15 personnes ont été entraînées
et gisent sous les débris.
Les gitanos qui habitent la place du Ravelin ont étalé
leurs meubles en plein air. Il y a là de vieilles
guitares, des os de cheval, de grands bahuts, des
chapeaux défoncés et foule de détails
des plus drôles. Beaucoup de maisons sont en
ruines.
La rue des Fontaines est presque détruite.
La route de Tournefeuille est encore en partie inondée.
Nous sommes obligés pour nous rendre sur la
route de Bayonne de faire le tour des maisons démolies
et de marcher sur un terrain considérablement
détrempé.
Avenue de Bayonne, avenue de Lombez, allée
de Cugnaux et place de la Patte-d'Oie, les dégâts
sont considérables. Nous ne rencontrons partout
que maisons en ruines et gens effarés, désespérés.
Plusieurs [pompes ?] fonctionnent pour enlever l'eau
des [déchirure].
Les dégâts s'étendent avenue de
Bayonne jusqu'à la côte de Purpan ;
avenue de Lombez jusqu'à mi-côte du rond-point
[déchirure] ...denne ; allée de Cugnaux
jusqu'à [déchirure] ville.
Les premières maisons qui se sont écroulées
étaient situées sur les allées
de Garonne, en face l'Abattoir. Elle appartenaient
à MM. Dautezac et Laffond. Tout le monde a
été sauvé, sauf une dame qu'on
n'a pas retrouvée.
Nous revenons sur nos pas. Les rues Réclusanne,
Viguerie, des Novards et tous les petits coins qui
avoisinent l'église Saint-Nicolas sont dans
un état de dévastation impossible à
décrire.
Les pertes matérielles sont immenses, presque
irréparables. On évalue le nombre de
victimes à 1.200.
Hier, à dix heures du soir, on a procédé
à l'enterrement de 115 victimes.
Nous apprenons à l'instant que Mme Chalons,
mère du peintre-verrier, domiciliée
allée de Garonne, a été écrasée
avant-hier dans la nuit par une poutre de sa maison.
Un enfant de 5 ans, appartenant à M. Maurette,
professeur à l'École des Arts, a été
entraîné mercredi soir par le courant.
Le cadavre n'a pas été retrouvé.
Dans la rue des Menuisiers, deux maisons se sont écroulées
et empêchent la circulation. Rue Mespoul, deux
maisons menacent ruines.
Pendant tout notre parcours, nous avons été
heureux de recueillir les témoignages de reconnaissance
des malheureux inondés envers la troupe. Il
n'y avait qu'un cri pour rendre hommage au dévouement
infatigable des braves militaires de la garnison qui
ont opéré de nombreux sauvetages au
milieu des plus grands dangers. On est unanime à
reconnaître que, sans leur concours, le nombre
des victimes aurait été bien plus considérable.
Qu'elles sont nombreuses pourtant ! Beaucoup ont été
déjà retirées ; de temps à
autre défilaient sous nos yeux des escouades
de militaires transportant des cadavres sur des brancards
improvisés, sur des volets. Ces cadavres, sur
le passage desquels la foule se découvrait
silencieuse et attristée, étaient mis,
devant l'hospice, dans des fourgons d'ambulance militaire.
Mais combien sont encore ensevelies dans les décombres
! On ne saurait encore en dire le nombre.
Et, à ce sujet, qu'une réflexion nous
soit permise, car il faut bien penser aux vivants
: nous prions avec insistance les administrations
civiles et militaires de mettre le plus de monde possible
au déblaiement et d'activer l'enlèvement
des cadavres encore ensevelis. Que l'on réquisitionne
au besoin, il n'y a pas une minute à perdre.
Nous sommes au 25 juin ; et si, l'on ne prend des
mesures très actives, des maladies contagieuses
sont à redouter. Dans certains quartiers, dans
la rue des Teinturiers notamment, une odeur infecte
se dégage des débris amoncelés.
Cette pensée ne nous est pas seulement suggérée
par nos impressions personnelles, nous avons rencontré
des docteurs en médecine qui nous ont exprimé
les mêmes craintes.
Il serait puéril, ce nous semble, d'essayer
de cacher ce danger à la population, car nous
n'exagérons rien et nous pensons que les autorités
prendront toutes les mesures que commande l'hygiène
publique.
[suivent
des nouvelles des régions environnantes]
(Débordement
de la Garonne, in La Dépêche, samedi
26 juin 1875, 6e année, n°1560, ADHG 4
MI 14 - R19)
Avis
— On nous adresse la lettre suivante :
Monsieur
le rédacteur,
Je
vous prie de faire savoir par votre estimable journal
qu'avec l'autorisation de M. le maire j'ai placé
trois troncs sur les quais de la Daurade destinés
à recevoir l'offrande publique pour aider à
secourir les victimes, malheureusement trop nombreuses,
de l'inondation.
Du
Gaylac
Chemin du Busca, 12.
Avis
— M. Balard, cimenteur, rue Ingres, 16, prendra
trois ou quatre personnes chez lui.
—
M. Ramondou, chemin de la Gloire (Terre-Cabade), met
à la disposition des inondés deux chambres
pouvant recueillir une famille de 5 à 6 personnes,
pour trois mois.
—
M. Ducasse, l'habile photographe toulousain, vient
d'obtenir de l'autorité militaire la permission
de relever les principales vues de la crue de la rivière
et des épouvantables ravages qu'elle a causés.
M.
Ducasse mettra en vente ces photographies lundi prochain,
au prix de 60 c., le mauvais temps ne lui permettant
pas de fournir des épreuves assez convenables
avant cette date.
Le
produit intégral de cette vente sera versé
aux diverses sociétés de bienfaisance
pour être distribué aux malheureux que
l'inondation a privés de tout.
Nous
ne saurions trop féliciter M. Ducasse de sa
bonne action ; sa résolution prouve qu'il possède
un véritable cœur d'artiste et de patriote.
—
La souscription pour les inondés est ouverte
dans les bureaux des différents journaux qui
paraissent à Toulouse.
—
La municipalité a intérêt à
connaître tous les établissements publics,
ainsi que la demeure des habitants, qui ont donné
asile aux pauvres de l'hospice ou aux inondés.
—
Le conseil municipal de Toulouse, convoqué
en séance extraordinaire hier soir, 24 juin,
a voté une somme de cent mille francs, comme
premier secours aux inondés.
M.
le maire, dans la même séance, a annoncé
que les secours pécuniaires, arrivés
déjà à la mairie, dépassaient
trente mille francs.
Le
conseil municipal, dans la même séance,
a voté à l'unanimité des remerciements
à l'armée.
—
La cour d'appel de Toulouse, réunie en séance
extraordinaire sous la présidence de M. de
Saint-Gresse, a voté une somme de huit mille
francs en faveur des inondés.
—
La société de boucherie Andral, Maurette
et Cie a établi, hier, rue Traversière-Saint-Georges,
21, un abattoir provisoire.
—
Les artistes en société du théâtre
du Capitole devaient donner hier soir la première
représentation de la Boule. Cette représentation
n'aura pas lieu, les artistes étant venus spontanément
déclarer à M. le maire qu'en présence
du deuil public, ils remettaient à un jour
ultérieur cette représentation.
Ils
organisent une soirée dont la recette sera
affectée à la souscription en faveur
des inondés.
—
Un sauvetage a été accompli dans l'après-midi
du 24 avec un grand sang-froid, vers 5 heures ½.
Les habitants de la maison n°32 de la rue des
Teinturiers, qui venaient d'être submergés,
prirent subitement la fuite ; seul un ancien marin,
M. Dupuy du Tour était resté dans son
appartement, cherchant à sauver une partie
de son mobilier ; mais menacé à son
tour, grâce à une échelle qui
lui fut tendue par M. Vital fils [sic], il s'échappa
au danger par les toits en se réfugiant dans
une maison voisine dont la solidité inspira
bientôt des craintes.
Soixante
personnes durent sur cette indication quitter cette
maison où elles s'étaient rendues. Le
sauvetage était pourtant difficile ; à
ce moment Mme G*** offrit sa maison comme un asile
sûr.
Ce
fut alors qu'avec un grand dévouement et au
milieu de grandes difficultés que MM. Dupuy
du Tour et Vital opérèrent le transbordement
dans cette maison des 60 personnes retenues dans la
maison voisine.
Quelques
instants après, un grand nombre de maison s'écroulaient
dans le voisinage de la maison de Mme S***.
Ce
matin, tous les hôtes improvisés de cette
femme dévouée ont pu rentrer en ville.