Camion à gaz itinérants
On procéda à des essais de gazage, en particulier à l'automne 1941, au camp de Sachsenhausen, avec des prisonniers russes. Le docteur Theodor Friedrich Leidig a décrit cette expérience :

[...] Des hommes nus en assez grand nombre sortirent d'une baraque et montèrent dans un camion poids lourd. [...] Les hommes entrèrent dans le camion comme dans un autobus. Ils n'avaient visiblement aucune idée de ce qui les attendait. Ils étaient peut-être une trentaine. Puis la voiture a démarré. [...]

On m'a dit que les personnes qui étaient montées dans la voiture étaient des Russes, qui auraient dû être fusillés. On voulait voir si l'on pouvait les tuer d'une autre manière. Nous nous sommes alors rendus dans un autre endroit, où nous avons retrouvé le camion. C'était près du four crématoire. Je me souviens qu'on pouvait voir [...] l'intérieur de la voiture, qui était éclairé. On constata que les gens étaient morts. On ouvrit le camion, quelques cadavres tombèrent, les autres furent déchargés par des détenus. En tant que chimistes, nous avons pu constater que les corps avaient l'aspect rosâtre typique des victimes du monoxyde de carbone.

[...] les prisonniers étaient asphyxiés dans un camion à gaz, sur l'ordre de l'état-major de groupe, et leurs cadavres jetés, hors de la ville, dans une fosse antichar. [...]

Chaque fois, ces opérations se passèrent comme suit. L'un des camions entrait dans la cour devant la prison. On faisait sortir les détenus juifs de leurs cellules, dites "de liquidation", et on les faisait monter, sous surveil-lance, dans les voitures. Les victimes devaient d'abord se déshabiller et restaient en sous-vêtements.

Comme elle se doutaient du sort qui leur était réservé et que certaines résistaient, les membres du commando les poussaient de force dans la voiture. Kehrer les injuriait et les frappait du poing. Le chargement terminé, on fermait les portes à l'arrière. La voiture demeurait sur place, le moteur en marche pendant cinq à dix minutes, durant lesquelles les gaz d'échappement étaient dirigés vers l'intérieur de la caisse par une installation spéciale.

Les affres de la mort étaient rendues plus douloureuses encore par les conditions de l'opération : l'entassement, l'obscurité, l'odeur des gaz d'échappement. Les victimes hurlaient et frappaient les parois assez fort pour que ceux qui entouraient la voiture les entendent distinctement. Avec l'arrivée des gaz d'échappement se manifestaient chez les victimes une sensation d'étouffement, des battements de coeur, des étourdissements, etc., jusqu'à la perte de connaissance. Certains étaient pris de vomissements, se vidaient d'excréments et d'urine. Les victimes mouraient au bout de quelques minutes, le cerveau privé d'oxygène. Mais, en raison du degré variable de résistance de chaque individu, toutes les victimes ne perdaient pas connaissance en même temps, de sorte que certaines demeuraient conscientes assez longtemps pour assister à l'agonie des autres.

Lorsque plus aucun bruit ne se faisait entendre, la voiture se rendait au fossé antichar établi autour de Simferopol. [...] Chaque fois, le camion était accompagné d'une voiture où se trouvaient quelques gardiens et au moins quatre juifs qu'on épargnait provisoirement. C'étaient eux qui devaient extraire les cadavres et les jeter dans le fossé antichar. [Les juifs qui devaient décharger les corps étaient ensuite abattus].

Le 22 août, je me rendis à l'hôpital municipal n°3, où j'avais été traité précédemment ; je voulais me faire établir un certificat. Comme j'entrais dans la cour, j'y aperçus un grand camion à carrosserie gris foncé. Avant d'avoir fait deux pas, je fus saisi au collet par un officier allemand qui me poussa dans le véhicule. L'intérieur de la voiture était rempli de personnes, plusieurs entièrement nues, d'autres en sous vêtements. La porte se referma. Le moteur se mit en marche. Quelques instants plus tard, je sentis que je perdais connaissance. J'avais auparavant suivi un cours de défense anti-aérienne, et je compris aussitôt qu'on était en train de nous asphyxier avec un gaz. Je déchirai ma chemise, l'humidifiai avec de l'urine et la pressai contre ma bouche et mon nez. Ma respiration en fut facilitée mais je finis quand même par perdre connaissance. Quand je revins à moi, j'étais couché dans une fosse avec plusieurs douzaines de cadavres. Au prix de grands efforts, je réussis à me dégager, à ramper au-dehors et à me traîner chez moi.

(Témoignages divers sur l'emploi des camions à gaz itinérants ; extraits de Eugen Kogon, Hermann Langbein, Adalbert Rückerl, op.cit., pp. 74-75, 89, 91 ; éditions du Seuil)

Avertissement : texte cité à titre documentaire, il n'est pas ici question de faire l'apologie du crime.