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Les
tranchées du côté allemand |
[...] 7 octobre 1915. — Me trouvais à
l'aurore auprès du guetteur de mon groupe sur
la banquette de tir, devant notre abri, quand une
balle a déchiré le calot de l'homme
d'avant en arrière, sans le blesser. Au même
moment, deux sapeurs touchés dans les barbelés.
L'un par ricochet, à travers les deux jambes,
l'autre par une balle dans l'oreille.
Le même matin, le guetteur de l'aile gauche
a reçu un coup de feu à travers les
deux pommettes. Le sang jaillissait en gros jets de
la blessure. Pour comble de malheur, le lieutenant
von Ewald est arrivé aujourd'hui dans notre
secteur afin de prendre sous son commandement la sape
N, qui n'est qu'à cinquante mètres de
la tranchée. Comme il se retournait pour redescendre
de la banquette, une balle lui a fracassé la
nuque. Il a été tué net. Il est
resté sur la banquette de grands morceaux d'os
crânien. En outre, un homme a pris un coup léger
dans l'épaule.
[...] 30 octobre. — Cette nuit, après
une ondée, toutes les traverses se sont éboulées,
se mélangeant à l'eau de pluie en une
gadoue qui a fait de la tranchée un marais
sans fond. Notre seule consolation était de
constater que les Anglais n'étaient pas mieux
lotis, car on voyait comme ils se hâtaient d'écoper
l'eau hors de leurs tranchées. Comme nous sommes
un peu plus haut qu'eux, nous leur avons envoyé
en supplément l'eau que nous avons pompée
dans les nôtres. [...] Les parois de tranchée
ont découvert en s'éboulant toute une
série de cadavres, restes des combats d'automne
dernier.
[...] 21 novembre. — J'ai conduit de la "forteresse
Altenburg" au secteur C, un détachement
de terrassiers, dont le réserviste Diener qui
est monté sur un saillant de la paroi pour
jeter la terre, à la pelle, par-dessus le parapet.
A peine était-il là haut qu'un coup
de feu tiré d'une sape lui a traversé
le crâne et l'a étendu raide mort sur
le sol de la tranchée. Il était marié
et père de quatre enfants. Ses camarades sont
restés longtemps encore aux aguets derrière
les créneaux pour venger le sang versé.
Ils pleuraient de fureur. Ils semblaient considérer
l'Anglais qui avait tiré la balle mortelle
comme leur ennemi personnel."
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(Ernst
Jünger, Orages d'acier, 1920, Stuttgart 1961, Paris
1970, traduit de l'allemand par Henri Plard, éd.
Christian Bourgois) |
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