Agriculture
Pour l'agriculture, les villages dans leur ensemble prennent
possession d'une certaine étendue de terres en rapport
avec le nombre des cultivateurs ; puis on se les partage d'après
le rang ; l'étendue des plaines facilite le partage.
Ils prennent chaque année des champs différents
et jamais la terre ne manque ; c'est aussi qu'ils ne se soucient
pas de rivaliser par leur travail avec la fécondité
et les vastes espaces de leur sol pour planter des vergers
et délimiter des prairies, pour irriguer des jardins
: on ne commande à la terre que la moisson.
(Tacite, La Germanie, XXVI-2 & 3, traduction de Jacques
Perret, éditions Les Belles Lettres, 1997)
Alimentation
Après le bain, ils prennent de la nourriture ; chacun
a son siège à part, chacun aussi sa table. Puis
ils s'occupent des affaires, et tout aussi fréquemment,
ils se rendent à des banquets en armes. Faire se succéder
un jour et une nuit de beuverie n'est une honte pour personne.
(Tacite, La Germanie, XXII-1 & 2,
traduction de Jacques Perret)
Pour boisson, un liquide fait avec de l'orge ou du blé,
à qui la fermentation donne quelque ressemblance au
vin (1) ; les plus proche de la rive (2) achètent aussi
du vin. Nourriture simple, fruits sauvages, venaison fraîche
ou lait caillé ; sans apprêts, sans raffinements,
ils repoussent la faim. A l'égard de la soif, ce n'est
pas la même tempérance : si on encourage leur
ivresse en leur donnant à boire autant qu'ils le désirent,
on ne les vaincra pas moins aisément par les vices
que par les armes.
1. Préparation alcoolisée semblable
à la bière. Elle était à base
d'orge, de baies de canneberge, de myrte et de miel.
2. Du Rhin et/ou du Danube.
(Tacite, La Germanie, XXIII-1 & 2, traduction de Jacques
Perret)
Armes
Rares sont ceux qui emploient le glaive ou la grande lance
; ils portent des piques ou, comme ils les appellent, des
framées (1) au fer étroit et court mais si pointu
et si bien adapté à son usage, que la même
arme, selon les besoins, leur sert à combattre de près
ou de loin. Quant au cavalier, il se contente du bouclier
et de la framée ; les fantassins font aussi voler des
javelots, chacun plusieurs, et ils les dardent à des
distances énormes, nus ou légèrement
vêtus d'un sayon (2). Aucune ostentation dans leur équipement
; ils rehaussent seulement leurs boucliers de couleurs choisies
avec soin. Peu ont des cuirasses, à peine l'un ou l'autre
a-t-il un casque ou un bonnet de cuir.
1. Javelot.
2. Casaque de guerre.
(Tacite, La Germanie, VI-1 à
3, traduction de Jacques Perret)
Divination
Les auspices et les sorts n'ont pas d'observateurs plus attentifs
; pour les sorts, leur pratique est uniforme : ils coupent
à un arbre, à un fruit, un rameau qu'ils taillent
en petits scions ; ils les marquent de certains signes distinctifs,
puis les éparpillent sur une étoffe blanche,
sans ordre et au hasard. Ensuite, le prêtre de la tribu
(si la consultation est officielle), le père de famille
lui-même (si elle est privée), ayant invoqué
les dieux et levant les yeux vers le ciel, en prend trois,
l'une après l'autre, qu'il interprète alors
d'après les signes qu'on y a précédemment
gravés.
(Tacite, La Germanie, X-1 à
2, traduction de Jacques Perret)
Une singularité de cette nation est de tirer parti
des présages et avertissement que donnent les chevaux
: ils sont nourris par l'état dans ces bocages et dans
ces bois, blancs et gardés purs de toute tâche
mortelle ; quand ils sont attelés au char sacré,
le prêtre et le roi ou le premier de la cité,
les accompagnent et obervent leurs hennissements et leurs
ébrouements.
(Tacite, La Germanie, X-4,
traduction de Jacques Perret)
Il est encore une autre manière de prendre les auspices,
qui leur sert à connaître l'issue des guerres
importantes : ils s'arrangent pour capturer un guerrier appartenant
à la nation avec laquelle ils sont en guerre, puis
le mettent aux prises avec un champion choisi parmi les leurs,
chacun ayant ses armes nationales ; la victoire de l'un ou
de l'autre est reçue comme une décision anticipée.
(Tacite, La Germanie, X-6,
traduction de Jacques Perret)
Esclavage
en préparation...
Guerre
Dans l'ensemble, c'est surtout l'infanterie qui fait leur
force ; aussi sont-ils mêlés dans la bataille
(1) ; le combat des cavaliers est servi à merveille
par la vitesse des fantassins qu'ils ont choisis dans toute
la jeunesse et placent en avant du front. Le nombre même
en est fixé : ils sont cent de chaque canton [...]
Leur front est ordonné en coin (2). Céder du
terrain, pourvu qu'on revienne à l'attaque, leur semble
calcul plutôt que peur. Ils ramènent les corps
des leurs, même dans les combats indécis. Abandonner
son bouclier est le comble de la honte, et l'assistance aux
cérémonies sacrées, l'accès de
l'assemblée est interdit à l'homme frappé
de cette infamie ; beaucoup de ceux qui se sont échappés
d'une guerre ont mis un terme à leur opprobre en se
pendant.
1. Fantassins et cavaliers.
2. Formation triangulaire en pointe, entourée de boucliers.
(Tacite, La Germanie, VI-4 à
6, traduction de Jacques Perret)
Ils portent à la bataille des images et des emblèmes
qu'ils tirent des bois sacrés, et — ce qui aiguillonne
singulièrement la bravoure — [...] tout près
sont les êtres chers, et ils peuvent entendre les hurlements
des femmes, les vagissements des nourrissons [...] ils portent
leurs blessures à leurs mères, à leurs
femmes, et elles ne s'effraient pas de compter et de sonder
les plaies, elles portent aux combattants nourriture et encouragement.
On a gardé le souvenir de formations qui fléchissaient
déjà et vacillaient et que des femmes ont redressées
par la fermeté de leurs adjurations, faisant une barrière
de leurs poitrines [...]
(Tacite, La Germanie, VI-3
& 4, VII-1, traduction de Jacques Perret)
Sur le champ de bataille, il est honteux pour le chef d'être
vaincu en courage, il est honteux pour les compagnons de ne
pas égaler le courage du chef. Mais surtout c'est une
flétrissure pour toute la vie et un opprobre d'être
revenu d'un combat où son chef a péri ; le défendre,
le sauver, rapporter à sa gloire ses propres exploits,
voilà leur obligation la plus solennelle : les chefs
combattent pour la victoire, les compagnons pour leur chef.
(Tacite, La Germanie, XIV-1
& 2, traduction de Jacques Perret)
Habillement
Pour se couvrir, ils ont tous une saie (1), attachée
avec une agraffe ou, à défaut, avec une épine
; ils passent des journées entières près
du foyer et de leur feu sans avoir rien d'autre sur le corps.
Les plus riches se distinguent par un vêtement qui n'est
pas flottant comme celui des Sarmates et des Parthes, mais
serré et qui moule chaque membre. Ils portent aussi
des peaux de bêtes, les plus proches de la rive (2)
sans beaucoup de soin, ceux de l'intérieur avec plus
de recherche, car ils ne peuvent pas se procurer de parure
par le commerce [...] Les femmes ne s'habillent pas autrement
que les hommes, mais portent plus souvent qu'eux des vêtements
de lin qu'elles rehaussent de pourpre ; la partie supérieure
de leur costume ne s'allonge pas en manches, leurs bras et
leurs avant-bras sont nus ; même le haut de leur poitrine
reste à découvert.
1. Pièce carrée d'étoffe
que l'on jetait sur les épaules et qui s'attachait
(sur l'épaule) avec une fibule.
2. Du Rhin et/ou du Danube.
(Tacite, La Germanie, XVII-1 à
4, traduction de Jacques Perret)
Habitat
On sait du reste que les peuples des Germains n'habitent point
dans des villes, qu'ils ne supportent même pas des demeures
contiguës : ils vivent isolés, séparés,
selon qu'une source, une plaine, un bois leur a plu. Ils établissent
leurs villages non pas avec des bâtiments qui, comme
chez nous, s'appuient et tiennent les uns aux autres : chacun
entoure sa maison d'un espace libre, soit défense contre
les risques d'incendie, soit ignorance de l'art de bâtir.
Ils n'emploient même ni moellons ni tuiles, ils se servent
pour toute construction de troncs bruts, sans se soucier de
la beauté ou de l'agrément ; certaines parties
sont enduites plus soigneusement d'une terre si pure et si
brillante qu'elle imite la peinture et des traits de couleurs.
Ils ont aussi l'habitude de creuser des cavités souterraines
qu'ils recouvrent d'un gros tas de fumier, refuges contre
l'hiver et resserres pour les grains : car ils adoucissent
la rigueur des froids par ces sortes d'abris, et s'il arrive
que l'ennemi survienne, il ravage ce qui est à découvert,
mais ce qui est caché et enfoui reste ignoré
ou lui échappe, par cela même qu'il lui faut
le chercher.
(Tacite, La Germanie, XVI-1 à 4, traduction
de Jacques Perret)
Hommes
[...] l'apparence physique [...] est la même chez tous
: yeux farouches et bleus, cheveux d'un blond ardent, grand
corps qui n'ont de vigueur que pour un effort violent ; ils
ne font pas preuve de la même endurance pour peiner
et travailler ; ils ne supportent pas du tout la soif et la
chaleur, mais le froid et la faim ainsi accoutumés
par leur climat ou leur sol.
(Tacite, La Germanie, IV-2
& 3, traduction de Jacques Perret)
Justice
Les peines diffèrent selon la faute. Les traîtres
et les transfuges sont pendus aux arbres ; les lâches,
les poltrons, les gens de mœurs infâmes sont enfoncés
dans la boue et dans les marécages, et on jette sur
eux une claie [...] Pour les fautes plus légères,
il existe aussi des peines proportionnées : ceux qui
sont reconnus coupables doivent livrer, à titre d'amende,
un certain nombre de chevaux et de têtes de petit bétail.
Une partie de l'amende est versée au roi ou à
la tribu, l'autre à celui auquel on offre réparation
ou à ses proches.
(Tacite, La Germanie, XII-1
& 2, traduction de Jacques Perret)
Mort
Nul faste dans leurs funérailles : on veille seulement
à brûler le corps des hommes illustres avec des
bois particuliers. Quand le bûcher est élevé,
ils n'y entassent ni étoffes ni parfums. On livre aux
flammes les armes du mort, parfois aussi son cheval. Le tombeau
est dressé en mottes de gazon ; les honneurs [...]
d'un monument [...], ils n'en veulent pas. Ils quittent bientôt
les lamentations et les larmes, mais non pas les regrets et
la peine. Aux femmes convient le deuil, aux hommes le souvenir.
(Tacite, La Germanie, XXVII,
traduction de Jacques Perret)
Paysages
Le pays, en dépit d'une certaine diversité,
est cependant, en général, hérissé
de forêt ou enlaidi par des marécages, plus humide
du côté qui regarde les Gaules, plus venteux
de celui du Norique et de la Pannonie, se prêtant à
la culture des céréales, rebelle aux arbres
fruitiers, fécond en troupeaux, mais les bêtes
sont le plus souvent de petite taille. Même les bœufs
n'y ont pas leur noblesse habituelle ni l'orgueil de leur
front (1) : c'est la quantité qui plaît aux Germains
[...]
1. Ni les cornes aussi développées.
(Tacite, La Germanie, V-1 & 2, traduction
de Jacques Perret)
Vie quotidienne
Quand ils ne vont pas à la guerre, ils passent un peu
de temps à la chasse, davantage à ne rien faire
; ils s'occupent à dormir et à manger. Les plus
braves, les plus courageux, restent inoccupés. Le soin
de la maison, des pénates et des champs est abandonné
aux femmes, aux vieillards, aux plus faibles de la famille.
(Tacite, La Germanie, XV-1, traduction
de Jacques Perret)
[...] les mariages, là-bas, sont chastes et il n'est
rien dans leurs moeurs qui mérite plus d'éloge,
car, presque seuls entre les Barbares, ils se contentent chacun
d'une épouse, exceptés quelques personnages
qui, [...] en raison de leur noblesse, sont poussés
à contracter plusieurs unions.
La dot n'est pas apportée au marie par l'épouse,
mais par le mari à l'épouse. Le père
et la mère, ainsi que les proches, assistent à
la cérémonie et examinent les cadeaux —
[...] des boeufs, un cheval bridé, un bouclier avec
une framée et un glaive. En échange de ces cadeaux,
on reçoit l'épouse, et, elle-même, en
retour, apporte à son mari quelques pièces d'arme [...]
Dans une
nation si nombreuse, les adultères sont extrêmement
rares. La punition en est immédiate et confiée
au mari. Il coupe les cheveux de l'épouse, la met nue,
et, en présence de ses proches, la chasse de chez lui
puis la mène à coups de fouet à travers
tout le village.
(Tacite, La Germanie, XVIII et XIX,
traduction de Jacques Perret)
Dans chaque famille, ils grandissent nus et sales, [...] jusqu'à
ces corps qui nous étonnent (1). La mère nourrit
elle-même son enfant à la mamelle, et ils ne
sont pas confiés à des servantes ni à
des nourrices. Aucun raffinement ne distingue l'éducation
du maître de celle de l'esclave : ils vivent, mêlés
aux mêmes animaux, couchant sur le même sol, jusqu'à
ce que l'âge [les] sépare.
[...] A défaut d'enfants (2), les héritiers
les plus proches sont les frères, [puis] les oncles
paternels, [puis] les oncles maternels. Plus on a de proches,
plus est grand le nombre des alliés, et plus la vieillesse
est entourée de prévenances (3) ; on n'a pas
d'avantages à être sans enfants.
1. Jusqu'au moment où leur corps d'adulte
est formé.
2. Si un couple n'a pas d'enfant.
3. Plus la vieillesse est douce et heureuse.
(Tacite, La Germanie,
XX, traduction de Jacques Perret)
Aucune nation n'aime autant recevoir à table et pratiquer
l'hospitalité ; écarter un homme de son toit
est considéré comme un sacrilège. Entre
hôtes, la nourriture est mise en commun ; chacun offre
ses repas en fonction de ses moyens. Quand [les] provisions
sont épuisées, [ils se dirigent] vers la maison
la plus proche, sans être invités, il n'importe
; ils sont reçus avec la même cordialité.
Connus ou inconnus [...], personne ne fait de différence.
Quand le visiteur s'en va, s'il demande quelque chose, l'usage
est de l'accorder [...] Ils aiment les présents mais
n'attendent pas de contrepartie pour ce qu'ils ont donné
et ne se sentent pas liés par ce qu'ils ont reçu.
(Tacite, La Germanie,
XXI, traduction de Jacques Perret)
Sitôt sortis du sommeil (qu'ils prolongent souvent dans
le jour), ils se baignent, presque toujours à l'eau
chaude, comme il est naturel pour les habitants d'un pays
où l'hiver dure longtemps.
(Tacite, La Germanie,
XXII, traduction de Jacques Perret)
[Les Germains vivent sans être corrompus] par les séductions
des spectacles ou par les excitations des festins. Hommes
et femmes ignorent également les secrets de la littérature.
(Tacite, La Germanie,
XIX, traduction de Jacques Perret)
Un seul genre de spectacle est le même dans toute leurs
réunions : des jeunes gens nus, qui s'en font un jeu,
se jettent en sautant au milieu des glaives et des framées
menaçantes [...] Les dés, chose étonnante,
sont pour eux affaire sérieuse où ils s'appliquent
à jeun, à ce point égarés par
le gain ou la perte que, lorsqu'ils n'ont plus rien, ils mettent
en jeu, pour un dernier et suprême coup, leur liberté
et leur personne. Le vaincu accepte une servitude volontaire,
même s'il est plus jeune ou plus robuste, et se laisse
lier et vendre.
(Tacite, La Germanie,
XXIV, traduction de Jacques Perret)