Conquête de l'Amérique : la brutalité des Européens
Ils entraient dans les villages et ne laissaient ni enfants, ni vieillards, ni femmes enceintes ou accouchées qu'ils n'aient éventrés et mis en pièces, comme s'ils s'attaquaient à des agneaux réfugiés dans leurs bergeries. Ils faisaient des paris à qui ouvrirait un homme d'un coup de couteau, ou lui couperait la tête d'un coup de pique ou mettrait ses entrailles à nu. Ils arrachaient les bébés qui tétaient leurs mères, les prenaient par les pieds et leur cognaient la tête contre les rochers. D'autres les lançaient par-dessus l'épaule dans les fleuves en riant et en plaisantant, et quand les enfants tombaient dans l'eau, ils disaient : "Tu frétilles, espèce de drôle !" ; ils embrochaient sur une épée des enfants avec leurs mères et tous ceux qui se trouvaient devant eux. Ils faisaient de longues potences où les pieds touchaient presque terre et par groupes de treize, [...] ils y mettaient le feu et les brûlaient vifs. D'autres leur attachaient tout le corps dans de la paille sèche et y mettaient le feu ; c'est ainsi qu'ils les brûlaient. A d'autres, à tous ceux qu'ils voulaient prendre en vie, ils coupaient les deux mains, et les mains leur pendaient ; et ils leur disaient : "Allez porter les lettres", ce qui signifiaient d'aller porter la nouvelle à ceux qui s'étaient enfuis dans les forêts.

[...] Il a déjà été dit que les Espagnols des Indes ont des chiens très sauvages et très féroces, instruits et dressés pour tuer et déchiqueter les Indiens. [...] Pour nourrir ces chiens, les Espagnols emmènent sur les chemins beaucoup d'Indiens enchaînés, qui marchent comme des troupeaux de porcs ; les Espagnols en tuent et tiennent boucherie publique de chair humaine ; ils se disent les uns aux autres : "Prête-moi un quartier d'un de ces drôles pour donner à manger à mes chiens en attendant que j'en tue un autre" ; comme s'ils échangeaient des quartiers de porc ou de mouton.
(Bartolomé de Las Casas, Très brève relation de la destruction des Indes, 1552 - traduction de Fanchita Gonzales-Batlle)